23 mars 2020

Nationale

Restrictions de circulation et déroulement des chantiers (maj 23/03/2020)

Du fait de la restriction des déplacements, le maître d’ouvrage doit-il ordonner l’arrêt des chantiers ?

Que disent les textes sur la restriction des déplacements ? Le décret n°2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19 (JO 17.03) énonce que : 

« Afin de prévenir la propagation du virus covid-19, est interdit jusqu'au 31 mars 2020 le déplacement de toute personne hors de son domicile à l'exception des déplacements pour les motifs suivants, dans le respect des mesures générales de prévention de la propagation du virus et en évitant tout regroupement de personnes : 1° Trajets entre le domicile et le ou les lieux d'exercice de l'activité professionnelle et déplacements professionnels insusceptibles d'être différés (...) Les personnes souhaitant bénéficier de l'une de ces exceptions doivent se munir, lors de leurs déplacements hors de leur domicile, d'un document leur permettant de justifier que le déplacement considéré entre dans le champ de l'une de ces exceptions. ».

Suite à la publication de ce décret, le Ministère de l’Intérieur indique sur son site que

« Les déplacements sont interdits sauf dans les cas suivants et uniquement à condition d'être munis d'une attestation pour : (…) se déplacer de son domicile à son lieu de travail dès lors que le télétravail n’est pas possible »

Le modèle d’attestation de déplacement mis à disposition par le Ministère de l’Intérieur prévoit la possibilité de se déplacer en cas de

« déplacements entre le domicile et le lieu d’exercice de l’activité professionnelle, lorsqu’ils sont indispensables à l’exercice d’activités ne pouvant être organisées sous forme de télétravail (sur justificatif permanent) ou déplacements professionnels ne pouvant être différés (…) ».

Nota : En aucun cas, le MO ne doit signer les attestations de déplacement des salariés des entreprises intervenant sur le chantier

La communication du Gouvernement semble ainsi laisser une certaine souplesse lorsque le télétravail n’est pas possible, comme il ressort par ailleurs de la FAQ du Gouvernement relative aux déplacements.

Pour s’en convaincre, il convient de relever que dans un télégramme diffusé le 17 mars par le Ministère de l’Intérieur, ce dernier souligne que les activités économiques doivent se poursuivre y compris sur les chantiers de construction.

 

Faut-il fermer le chantier ?

Il n’y a pas de réponse unique à cette question.

1/ Rapprochez vous de votre CSPS afin que ce dernier

- mette à jour, dans les meilleurs délais, le PGC, en tenant compte de l’actualisation des Plans Particuliers de Sécurité et de Protection de la Santé (PPSPS) des entreprises et, le cas échéant, des sous-traitants, ainsi que des éventuelles recommandations recueillies auprès des services de l’OPPBTP et de l’inspection du travail et des observations formulées par le collège interentreprises de sécurité, de santé et des conditions de travail, préalablement convoqué par vos soins

Nota : Le CSPS, désigné par le MO, établit le Plan général de coordination en matière de sécurité et de protection de la santé (PGC), qui doit être « tenu à jour pendant toute la durée des travaux », dont le CSPS assure l’application.

- communique le PGC ainsi actualisé au maître d’œuvre d’exécution, aux entreprises et, le cas échéant, aux sous-traitants agréés ;

- détermine dans quelle mesure il est à même d’assurer effectivement et personnellement le suivi de la sécurité du chantier pendant la période de confinement réglementaire.

Il importe, par ailleurs, que le CSPS vous informe de sa capacité à maintenir l’effectivité de sa mission. Les textes et la jurisprudence imposent que le MO permette au coordonnateur de mener à bien sa mission. L’absence de CSPS sur un chantier peut être de nature à engager la responsabilité du MO qui maintiendrait l’activité sur le chantier dans de telles conditions.

Nota : Les intervenants sur le chantier sont tous des employeurs dont la responsabilité (pénale) notamment peut être engagée en cas de manquement à leur obligation de sécurité à l’égard de leurs salariés.

2/ Rapprochez-vous des entreprises afin que ces dernières

- mettent à jour leur Plan Particulier de Sécurité et de Protection de la Santé (PPSPS), en coordination avec le CSPS et dans le respect de ses préconisations et des exigences réglementaires, en vue de l’actualisation du PGC SPS

Nota : Chaque entreprise, y compris les entreprises sous-traitantes, établit un plan particulier de sécurité et de protection de la santé, qui doit être communiqué au coordonnateur.

Pour l’actualisation de leur PPSPS, les entreprises peuvent consulter les recommandations de l’OPPBTP en cliquant ici ) ainsi que celles du guide de bonnes pratiques, à paraître dans les prochains jours, validé par les Ministères du Travail et des Solidarités et de la Santé sur les chantiers publics, qui devrait être publié dans les jours à venir.

- enjoignent aux sous-traitants agréés de mettre à jour leur Plan Particulier de Sécurité et de Protection de la Santé (PPSPS) et en adressent copie au coordonnateur SPS en vue de l’actualisation du PGC SPS ;

-informent le maître d’œuvre d’exécution des activités qui peuvent être maintenues sur le chantier, des conditions mises en œuvre pour leur exécution, ainsi que leur planning d’exécution dans le respect des consignes du PGC et des exigences réglementaires ;

-à défaut de pouvoir maintenir les activités de chantier, de déterminer et mettre en œuvre les mesures pour assurer la mise en sécurité du chantier et d’en informer le maitre d’œuvre d’exécution et le coordonnateur CSPS ; -informent le maître d’œuvre d’exécution des activités qui peuvent être maintenues hors chantier pour l’exécution de leur contrat (à adapter selon l’état d’avancement des contrats : établissement plans d’exécution, …) et leur planning d’exécution

3/ Rappprochez-vous de votre maitre d’œuvre d’exécution afin que ce dernier :

veille à ce que les procédures de mise à jour du PGC par le CSPS et des PPSPS par les entreprises (donneurs d’ordre comme sous-traitantssi nécessaire) aboutissent avant toute reprise effective des activités sur le chantier ;

- après sondage de l’ensemble des intervenants (maîtrise d’œuvre comme entreprises réalisatrices), vous informe des activités qui peuvent être maintenues sur le chantier, ainsi que leur planning d’exécution et leurs modalités d’exécution et de suivi dans le strict respect des modalités du PGC et des PPSPS actualisés et des exigences réglementaires ;

- à défaut de pouvoir de maintenir les activités de chantier, veille, en lien avec le CSPS s’il y a lieu, à la mise en œuvre par les entreprises des mesures nécessaires à garantir la mise en sécurité du chantier ;

- accompagne le maître de l’ouvrage dans la formalisation de la suspension du chantier dès lors que l’activité ne peut être maintenue ;

- vous informe des activités qui peuvent être maintenues hors chantier pour l’exécution de leur contrat (à adapter selon l’état d’avancement des contrats : établissement DCE, lancement /analyse des offres, …) et leur planning d’exécution.

Pour assurer le maintien de l’activité, il importe de distinguer les activités qui se déroulent sur le chantier/hors chantier.

- Pour les activités qui se déroulent sur le chantier et qui peuvent être maintenues, la question de l’arrêt du chantier ne se pose pas.

Le maintien de l’activité sur le chantier impose une vigilance particulière sur les modalités d’exécution des travaux pour garantir le respect des gestes barrières et réduire la coactivité pour le respect des distances sociales. Les activités maintenues donneront lieu à paiement.

- Pour les activités qui se déroulent sur le chantier et qui ne peuvent pas être maintenues (ruptures de chaine, interdépendance/incorporation, etc), il est suggéré de déterminer quelles sont les activités hors chantier qui peuvent être réalisées pour poursuivre l’exécution des contrats (marché de travaux, maitrise d’œuvre d’exécution -> ex. : étude de synthèse, plans d’exécution, etc.) – à défaut de l’exécution des travaux - et en particulier l’élaboration d’un plan de reprise (qu’est ce qu’on peut faire, quand, avec qui, et comment ?).

3/ Sur la base des réponses apportées par les différents intervenants, le chantier pourra être fermé.

 

Précisions sur la fermeture du chantier

La fermeture du chantier peut prendre plusieurs formes: selon la rédaction des contrats, la décision de fermeture du chantier ne relève pas nécessairement du MO. Elle pourra prendre la forme d’un OS de suspension établi par le maître d’œuvre ou d’une modification, voire d’une prorogation, du calendrier d’exécution des travaux.

Nota : L’arrêt de chantier ne serait constitué un ajournement (résultant d’une décision du seul MO) mais le constat de l’impossibilité objective/motivée du maintien de l’activité matérielle sur le chantier.

A titre d’illustration, le modèle FPI de contrat de marché prévoit que

« Ouvrent seuls droit à prolongation de délais, pour l'entrepreneur, sous condition expresse qu'il ait présenté par écrit et en temps utile, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ses demandes et/ou réserves motivées au maître de l'ouvrage : (…)

1°Les événements caractérisant un cas de force majeure ;

(…) Si les difficultés rencontrées par l’entrepreneur sont reconnues par le maître de l’ouvrage comme étant éligibles à un cas de force majeure, l'entrepreneur propose, au maître d’œuvre, dans un délai de huit (8) jours à compter de la décision du maître de l’ouvrage, un projet révisé du calendrier détaillé d’exécution ».

Il convient de définir avec les entreprises, les MOEX, le cas échéant le CSPS, les conditions d’arrêt des chantiers (mesures de sécurité/sûreté en particulier) et d’en informer son assureur TRC/RCPro/DO/CNR (les fédérations travaillent actuellement à la mise en place d’un protocole national de couverture pendant cette période – cf infra).

A titre d’illustration, le modèle FPI de contrat de marché prévoit un lot gardiennage dont le coût est porté au compte prorata, ce qui permet de mutualiser les frais.

S’agissant des conséquences financières, là aussi il convient de vous reporter aux clauses de vos contrats pour les apprécier, selon les modalités dans lesquelles la fermeture du chantier est intervenue (suspension, interruption ou ajournement) – à propos des pénalités cf infra force majeure.

Concernant les conséquences juridiques et en particulier la garde du chantier, celle-ci peut être mise à la charge des entreprises contractuellement (c’est ce que prévoit expressément le modèle FPI de contrat de marché). A défaut de stipulation contractuelle, la garde pèse sur les entreprises en application de l’article 1788 du code civil (voir en ce sens : Civ. 3e, 14.12.17, N°16- 25652).

Parallèlement, en matière d’assurance, n’oubliez pas d’informer votre assureur (TRC, RCPro, DO et CNR/CCRD) de la fermeture du chantier.

Par ailleurs, examinez votre contrats Tous Risques Chantiers pour savoir :

- quels sont les sinistres garantis (ex. : vols, dégradations suite à intrusion, etc.) ;

- quelles sont les conditions dans lesquelles la garantie est maintenue en cas de suspension du chantier (ex. : respect de bonnes pratiques préconisées par l’assureur, pour la mise en sécurité du chantier, selon l’état d’avancement du chantier) ;

- dans quelles conditions (juridiques et financières), elle peut être prorogée.

A titre d’illustration, le groupe SMA indique que « Compte tenu des circonstances exceptionnelles, le groupe SMA a décidé d’étendre son contrat en maintenant ses garanties Tous risques chantiers pendant toute la période d’arrêt de chantier dû au confinement, sans surprime, sans déclaration préalable et dans la limite de 60 jours. ».

Si les travaux ont été réceptionnés et n’ont pas pu être livrés, vous avez peut-être souscrit un contrat d’assurance couvrant les constructions réalisées en phase chantier, couvrant notamment le risque incendie. Là aussi renseignez-vous auprès de votre courtier ou votre assureur sur les conditions juridiques et financières de maintien de cette garantie dans le temps, en particulier si les lots sont achevés mais ne peuvent pas être livrés.

Ces observations sont valables sous réserve de la rédaction de vos contrats d’assurance et notamment de la rédaction de la clause de force majeure (définition, justification).

 

Est-ce que le promoteur en tant que maître d’ouvrage peut invoquer la force majeure ?

Qu’est ce qu’un cas de force majeure ?

La FPI a diffusé une note sur la notion de force majeure, dans laquelle il est rappelé qu’elle recouvre un fait extérieur, imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible.

La fermeture pour « force majeure » devra donc être motivée par un fait réunissant ces conditions.

Sous réserve de l’appréciation souveraine des juges du fond, il peut en être ainsi

- si le chantier doit être fermé à la demande de l’administration (injonction de la gendarmerie, inspection du travail, arrêté préfectoral, …)

Important ! Le MO doit se constituer la preuve de cette injonction. A défaut, il ne pourra pas motiver l’arrêt du chantier et justifier de la prorogation du délai de réalisation des travaux/livraison des lots et s’expose au paiement de pénalités/dommages et intérêts.

-si les intervenants sur le chantier indiquent que la poursuite des travaux sur site ne peut pas être maintenue pour des motifs relevant de la force majeure

Ex. : on peut supposer qu’il en sera ainsi si les intervenants (MOEX, CSPS, entreprises ou soustraitants) font part de leur impossibilité à poursuivre leur activité parce qu’une part trop importante de leurs salariés ont exercé le droit de retrait, qu’ils font état de difficultés d’approvisionnement de matériaux/équipements de protection individuelle (masques, gel hydroalcoolique, etc.) ou de l’impossibilité matérielle de respecter les distances sociales (travaux en site fermé exigu) ou de réaliser les travaux commandés du fait de l’absence de réalisation de travaux nécessaires à la réalisation de leurs propres ouvrages (interdépendance/incorporation).

Quelles conséquences ?

Comme indiqué dans la note FPI relative à la force majeure, il s’agit d’un cas d’exonération de responsabilité, qui a pour effet de suspendre l’exécution des obligations prévues au contrat de la partie qui l’invoque et d’échapper aux sanctions applicables en cas de non-respect de cellesci (pénalités de retard contractuelles, indemnisation) càd que :

− Le promoteur MO qui invoque la force majeure auprès des entreprises suspend son obligation de paiement des entreprises ;

− Le promoteur, vendeur (VEFA), suspend son obligation de livraison à l’égard des acquéreurs ;

− L’entreprise qui invoque la force majeure suspend l’exécution des travaux. Comme cela a été dit précédemment, le fait de savoir si les faits invoqués constituent un cas de force majeure relève de l’appréciation souveraine des tribunaux.

En tout état de cause, avant d’invoquer la force majeure, il importe de

1/ examiner la rédaction de vos contrats (marchés/VEFA/CPI) pour

2/ déterminer les causes de prorogation du délai d’exécution des travaux/livraison admises contractuellement afin de déterminer

3/ si les circonstances de fait constituent des causes légitimes de prorogation du délai de réalisation des travaux/livraison (ex. : pandémie, injonction administrative, fait du prince, difficultés d’approvisionnement de matériaux, etc.)

4/ et par conséquent si des pénalités de retard/indemnités sont applicables.

 

Est-ce que l’entreprise peut suspendre l’exécution de ses travaux parce que le MO n’a pas fourni de garantie de paiement ?

Oui. Prévue à l’article 1799-1 du code civil, cette garantie, d’ordre public, doit être fournie dès la conclusion du contrat et peut être réclamée à tout le moment, y compris la résiliation du marché. A défaut de la produire après mise en demeure, l’entreprise est fondée à suspendre la réalisation des travaux.

Contenu réservé aux membres FPI