Le juge, le promoteur et le temps
La justice a récemment condamné un marchand de biens de Marseille à trois ans de prison ferme pour extorsion et tentative d’extorsion de promoteurs immobiliers. En cause : une pratique bien connue consistant à multiplier les recours contre des permis de construire, retirés lorsque le pétitionnaire, contraint par les délais de la justice, acceptait de transiger.
Les faits sanctionnés ont couru de 2010 à 2015. Depuis, la loi ELAN de 2018 est venue plafonner à dix mois les délais de jugement des recours en matière d’urbanisme en première instance. C’est un des grands acquis de notre profession sur la période récente, et la FPI s’était beaucoup mobilisée dans le cadre du groupe de travail Maugüé pour y parvenir. Cette mesure, nous la voulions non pas seulement pour accélérer le traitement des recours, mais surtout pour décourager le dépôt de ceux qui ne misaient que sur la lenteur des tribunaux. Désormais, tout pétitionnaire sait que son affaire sera jugée dans un délai de 10 mois, et non plus de 2 ou 3 ans : lorsqu’il est sûr de la solidité juridique de son PC, il ne transige plus. Tout le monde y gagne : la collectivité, la justice, l’Etat, les acheteurs – tout le monde, sauf les escrocs.
Au fond, cette affaire n’a été rendue possible que par notre vulnérabilité et par la grande fragilité de nos programmes, à la merci de tous ceux qui peuvent les remettre en question, ou simplement les retarder. Le temps ne coûte qu’à nous, et à nos acquéreurs. Le temps joue contre nous, contre la construction, contre la baisse des prix.
Cette affaire nous donne certes la satisfaction de voir un truand derrière les barreaux, et c’est déjà beaucoup, mais elle nous montre aussi et plus généralement que la faiblesse de notre secteur, c’est sa lenteur : tous les anciens du métier se souviennent de l’époque, pas si lointaine, où un projet sortait de terre en deux ans, et non en quatre ou cinq comme aujourd’hui (sans d’ailleurs que ces délais nouveaux soient des garanties de qualité). D’où l’angoisse qui nous étreint quand on nous annonce un recours, un sursis à statuer, une étude « quatre saisons », une phase de « pré-instruction » etc.
On dit souvent que dans notre société, tout va plus vite. C’est vrai, sauf pour la construction. Et pourtant, avec des millions de mal-logés, c’est bien là que réside l’urgence.
Pascal Boulanger
Président FPI France