Nationale

Editorial du Président

Habiter en France va-t-il devenir un privilège ?

Notre pays est régulièrement traversé par des crises sociales, économiques ou sanitaires. Notre résilience à ces bouleversements fait notre force mais nous devons aussi apprendre de celles-ci pour en limiter les conséquences et surtout leur survenance, quand cela peut être anticipé.

La crise des gilets jaunes, à cet égard, porte de multiples enseignements sur un malaise profond qui s’est installé dans notre pays et dont les braises ne sont pas encore éteintes. Si l’étincelle qui a mis le feu aux poudres était le prix de l’essence, la limitation à 80km/h ou plus sûrement le renchérissement des exigences de qualité lors des contrôles techniques des véhicules, la mobilisation sur les ronds-points était la manifestation d’une exaspération d’une partie de nos concitoyens qui se sont sentis déclassés parce que leur véhicule n’était plus assez « bien » pour rouler, trop polluant pour aller travailler, trop dangereux car trop ancien. Bref, ce sentiment d’éviction d’une société qui ne sait plus donner sa place aux classes trop moyennes pour s’offrir le véhicule électrique non polluant, nouvel attribut d’une société rêvée mais malheureusement hors de portée d’une grande majorité des Français.

Je ne voudrais pas qu’une résurgence de cette crise vienne du logement et pourtant, je crains que cette stratégie d’éviction -inconsciente ? - des plus fragiles d’entre nous ne se reproduise avec les exigences énergétiques incroyables qui vont désormais peser sur l’habitat ancien couplées à une pénurie d’offre de logements neufs, faute de permis de construire délivrés en nombre suffisant.

Je m’explique : sur 29 millions de résidences principales, 1,9 million seulement sont classées A ou B selon l’actuel DPE, soit 7 % du parc. À l'opposé, 4,8 millions de logements sont classés F et G, soit 17 % du parc, et sont qualifiés de « passoires thermiques ». Le nouveau DPE, plus exigeant, et les nouvelles contraintes associées (à terme, interdiction de louer ou de vendre en deçà des nouvelles étiquettes F et G) laissent craindre une réduction de l’offre privée par défaut de mise aux normes. A cela s’ajoutent des délais extrêmement contraints et la nécessité d’investissements massifs des particuliers mais aussi de la puissance publique, et dont on ne sait, pour cette dernière, s’ils seront mobilisés sur un temps long.

J’ai entendu mardi les propos de la ministre du logement, indiquant que « le gouvernement sera vigilant sur la soutenabilité du calendrier ». C’est indispensable car 25 % du marché locatif privé pourrait faire défaut prochainement, en l’absence des travaux de rénovation énergétique imposés par la loi Climat et Résilience. Pour les mêmes raisons, combien de propriétaires de logements anciens, motivés par une contrainte économique ou une aspiration au changement, se verraient dans l’interdiction de vendre leur bien ?

Si dans le même temps, la relance de la construction neuve continue à marquer le pas faute de permis accordés et d’acceptabilité des projets par des habitants souvent « bien logés »qui les estiment « trop proche de chez eux », si une offre neuve, abordable, n’émerge pas rapidement et massivement, alors il y a fort à parier que les mêmes effets -cette fois-ci c’est le logement qui ne sera pas dans les standards décidés par une élite qui semble ignorer que bien souvent, le mieux est l’ennemi du bien- entraineront les mêmes conséquences : une nouvelle crise sociale, sociétale et économique.

Cette crise du logement, que certains redoutent déjà comme pouvant être la plus grave depuis 1954, est pourtant prévisible et donc encore évitable par des gestes politiques forts. Il est encore temps d’agir pour ne pas laisser s’installer une pénurie de logements dans la 5ème puissance mondiale : accompagner la rénovation et relancer l’acte de construire, plus que jamais nécessaire, utile et noble !

Pascal Boulanger