Discours de Pascal Boulanger, Président de la FPI - EnerJ meeting 2021
Mesdames et Messieurs,
En tant que président de la FPI, vous pourriez vous attendre, dans le cadre d’ENERJ meeting, à ce que je vous parle du contenu de la RE 2020 dans son détail, de ses seuils et de ses échéances.
Mais j’ai envie de vous en parler différemment, de cette RE 2020. D’abord parce que la question, de son contenu est, pour une large part, derrière nous : les arbitrages ont été rendus, au terme de mois de discussions dans le cadre du CSCEE, où nous avons beaucoup négocié. Restent bien sûr les arbitrages sur le tertiaire, mais ce sera l’affaire de quelques semaines. Tout est donc sur la table, la théorie et les textes sont écrits. Tout est prêt, et en même temps rien ne l’est vraiment.
Car l’enjeu, maintenant, c’est la mise en œuvre de la RE 2020. En France, on a tendance à considérer qu’un problème est résolu, ou une réforme réussie, quand on l’a écrit dans la loi.
Or, pour reprendre les termes d’un grand penseur, Lénine, « les faits sont têtus », et les réformes plus difficiles à réussir qu’à écrire.
Dans la réussite d’une réforme, il y a de mon point de vue deux aspects :
- Il faut que les opérateurs soient capables de mettre en œuvre les nouvelles règles
- Et il faut que les usagers en tirent réellement profit
Dans la RE, ces deux aspects me paraissent en risque :
- La mise en œuvre sera difficile, parce que je sens moins de mobilisation des décideurs sur les suites de la RE que sur la RE elle-même : la formation, les compétences, les outils, les filières, les processus, l’observation, le retour d’expérience, tout reste à adapter – et la crise des matériaux que nous traversons ne va pas nous y aider
- Les usagers, ou pour reprendre un mot qui souvent fait peur, « les clients », paieront certainement leurs logements plus chers, sans voir substantiellement baisser leur facture énergétique, parce que nos logements sont déjà très performants. Ils auront peut-être la satisfaction de contribuer à la baisse des émissions de GES, mais en sommes-nous bien sûrs ? Le vrai gisement d’économies de carbone dans le résidentiel n’est certainement pas là, mais dans la rénovation du parc existant.
Le logement de demain existe donc sur le papier, mais si je raisonne en tant que patron d’une PME de promotion, je suis un peu pris de vertige devant l’ampleur des transformations à opérer pour en faire une réalité. Non seulement dans mes équipes, mais aussi bien au-delà. Je vous rappelle qu’un promoteur, c’est un chef d’orchestre : comment Karajan aurait-il fait si tous ses musiciens avaient dû, tous en même temps, changer d’instruments et réapprendre le solfège ? Or ce sont bien les enjeux dont nous parlons.
Comprenons-nous bien : la RE est une opportunité pour notre métier et nos filières, parce qu’elle va nous pousser à innover, elle va nous permettre d’attirer davantage de jeunes talents « conscientisés » sur les questions environnementales, et peut-être nous donner un temps d’avance sur nos voisins qui nous ouvrira des marchés à l’étranger, qui sait ?
Mais dans le succès d’une réforme, la gestion du temps est tout. Or si l’entrée en vigueur de la RE est progressive, les marches 2025, 2028 et 2031 sont très hautes. L’Etat fait le pari que nous nous adapterons -comme toujours-, il accélère même le processus en nous disant que le Pinel sera soumis dès 2023 à des seuils futurs de la RE.
Poser cette question du rythme de la réforme, c’est aussi se demander ce que seront les critères de réussite de cette RE : pour moi, ce sera la capacité du secteur à mettre sur le marché des logements performants sur le plan carbone, évidemment, mais pas seulement. Il faudra aussi qu’ils soient nombreux, et abordables. Je n’oublie pas, en effet, que nous devons relever un autre défi que le défi climatique : celui des fractures qui traversent notre pays. N’oublions pas que dans notre pays, le salaire médian est de 1800 € net/mois, quand le prix moyen d’un logement neuf atteint 4500 €/m2, porté par la flambée des prix du foncier et des normes. Des logements parfaits sur le plan technique, mais plus chers et moins nombreux, créeraient autant de problèmes qu’ils en résoudraient.
Lorsque je dis cela, j’ai conscience d’aller à l’encontre d’une école de pensée pour laquelle, en réalité, le bon logement neuf, le plus performant sur le plan du carbone, c’est celui qu’on ne construit pas. Et pour cette école de pensée, la pénurie et l’inflation sur le marché du neuf ne sont pas vraiment un problème, car les ménages devraient plutôt acheter et rénover de l’ancien, et télétravailler depuis un centre bourg connecté …
Je ne vois pas les choses de cette façon – le Gouvernement non plus, d’ailleurs, comme en témoigne la commission Rebsamen. Pour moi, ancien et neuf sont complémentaires et non antagonistes, et pour relever les défis de la ville de demain et de la France neutre en carbone en 2050, le neuf n’est pas un problème, c’est une solution. Il faut continuer à construire, parce que ce que nous produisons est déjà de grande qualité sur le plan environnemental, grâce à la RT 2012, et le sera plus encore plus demain, grâce à la RE 2020.
Car je l’affirme et je l’assume : ce que nous produisons est de qualité, non seulement sur le plan environnemental, mais aussi sur le plan du confort, de la santé ou des usages. On peut toujours s’améliorer, bien sûr, et il faut savoir entendre les critiques pour progresser, mais au fond, moi, je suis fier de faire ce métier, fier de loger nos concitoyens, et de bien les loger, fier que des entrepreneurs aient le courage d’affronter les risques et les difficultés d’un projet immobilier neuf.
D’ailleurs, nul n’impose à ces habitants de vivre dans du neuf, c’est leur choix éclairé. Ce sont 120 000 ménages qui, les bonnes années, nous achètent un appartement qui le plus souvent n’existe même pas encore et qui vont l’attendre 2 ans, quand ils pourraient en trouver un, au même endroit, sur le marché de l’ancien ! Je ne cesserai pas de rappeler cette évidence, et je sais que Madame la ministre la partage, et ses travaux en témoignent : l’acte de construire est nécessaire, utile et noble.
En conclusion, je voudrais insister sur un point. La RE est un enjeu de qualité, et c’est par ce prisme qu’on la voit généralement, à juste titre. Pour autant, je ne voudrais pas que cet enjeu se retourne contre deux autres enjeux clés :
- les volumes, parce que nous avons toujours des ménages à loger pour résoudre la crise du logement. N’oublions jamais les acquéreurs : aujourd’hui, grâce aux taux d’intérêt très bas, une grande partie de nos clients est resolvabilisée mais cet équilibre est fragile.
- les prix, car la révolution verte n’est pas également accessible à tous. Nous aurons peut-être la RE la plus performante du monde, mais, en termes de revenu par habitant, nous sommes toujours 30ème au classement mondial. Sachons adapter nos ambitions à cette réalité.
Donc faisons la RE, mais faisons la de façon pragmatique, assurons-nous qu’elle change bien la vie des français, sans créer de pénurie ni d’inflation.
Je vous remercie de votre attention.